Vers les années 1980, une révolution s’opère au Burundi. Une vision se dessine, après une timide industrialisation de l’économie. Pour le régime en place, il ne peut y avoir de développement sans une base industrielle. Les ’’cadres’’ sont mobilisés pour analyser les potentialités et proposer des ’’voies et moyens’’ afin de booster l’économie.
Même les initiatives de la première République sortent des tiroirs. Selon Audace Bukuru, Administrateur Directeur général de la Société sucrière du Moso (Sosumo) qui sauvera cette entreprise de la faillite, l’idée date de 1969. L’Isabu (Institut des sciences agronomiques du Burundi) commence par la multiplication de la canne à sucre.
En 1970, le régime Micombero compte implanter une usine de production du sucre. Ironie du sort, c’est peu de temps avant son éviction par le Colonel Jean-Baptiste Bagaza que les premières études dessinent les possibilités d’implantation de cette usine. Des accords de financement seront signés notamment avec la BAD (Banque africaine de développement) et la BADEA (Banque arabe pour le développement économique). Mais les Institutions de Breton Woods boudent et pensent qu’il s’agit d’un ’’éléphant blanc’’.
«Les constructions débutent en 1975. Les plantations prennent environ 5 ans, les premiers sacs de sucre ne sortiront qu’en 1988 donc 19 ans après. » La Sosumo sera inaugurée par le président Pierre Buyoya le 19 août 1989 », fait savoir l’ADG de cette entreprise.
La Sosumo et le Cotebu, des initiatives du régime Micombero
Fruit de la coopération sino-burundaise, le Complexe textile du Burundi est également un projet datant de la première République et réalisé par le régime Bagaza. D’après Raphaël Horumpende, ancien président du syndicat des employés du Cotebu, les constructions de cette usine commencent en 1973 pour se terminer trois ans plus tard. « Je me souviens que c’est en 1976 que cette entreprise est inaugurée par le président Bagaza. En 1983, le Cotebu tourne à plein régime et c’est en 1988 qu’il atteint son apogée avec environ 1700 employés et beaucoup de rentrées de devises. »
Cet ancien syndicaliste se rappelle : « Le tissus Cotebu était apprécié au Congo, en Tanzanie et au Rwanda. Il était parmi les meilleurs. Il y avait au Rwanda l’usine Texrwa, mais elle utilisait les fibres Cotebu.» Cette entreprise fournissait les uniformes des écoliers, des élèves, de la police et de l’armée. « Cela permettait de limiter les importations et d’épargner du coup des devises. Le coton de la Cogerco avait un marché d’écoulement. »
La Verrundi, sabotée par Habyalimana et Mobutu
La concrétisation des projets Cotebu et Sosumo est une des priorités du régime Bagaza dans sa politique d’industrialisation. D’après Albert Muganga, ministre en charge de l’industrie, une innovation de la deuxième République, le premier projet était la création d’une verrerie, la Verrundi, dans le cadre de la Communauté économique des pays des grands lacs (CEPGL).
Cette usine ne fera pas long feu, elle ferme suite aux divergences des dirigeants de ces trois pays : « Habyalimana et Mobutu s’entendait bien et ils semblaient être contre Bagaza. Kigali a dû dépenser 20% de plus pour l’achat des bouteilles en Israël au lieu de les acheter au Burundi. La société n’avait plus de marché.» Selon cet ancien ministre chargé de l’Industrie, la tentative de Heineken de récupérer cette usine échoue, le prix est exorbitant. « Quand Bujumbura a revu sa décision, c’était trop tard, cette multinationale avait changé d’avis.»
Déterminé à implanter des industries, le régime Bagaza n’hésitera pas à outrepasser les injonctions de la Banque mondiale. Selon Albert Muganga, la Bragita, la brasserie de Gitega est née dans ce contexte. « La Banque mondiale ne voulait pas financer ce projet. Nous avons dû négocier avec d’autres bailleurs. Suite aux pressions de la Banque mondiale, cette nouvelle brasserie sera récupérée par la Brarudi. »
Ce n’est pas tout, la deuxième République s’intéressera aussi à la filière café : « Les Français et les Belges nous ont aidés dans la construction des usines dites SODECO (Société de Déparchage et Conditionnement du café) à Bujumbura et à GITEGA pour l’amélioration de la qualité du café. Nous avons aussi créé la minoterie de Muramvya à l’aide d’un projet financé par le Fonds européen de développement (FED)», fait savoir Albert Muganga.
Sosumo, un autre pôle de développement
Pour Albert Muganga, par l’implantation des industries, l’objectif de la deuxième République était de trouver d’autres ressources au lieu de compter sur l’agriculture. « Avec les petites superficies arables, difficile de survivre d’ici 30 ans.»
Pour l’ADG de la Sosumo, le secteur industriel est d’une importance capitale. « Au cours de ces trois dernières années, la Sosumo a déboursé plus de 51 milliards de Fbu pour les impôts et les taxes. Cette entreprise compte plus de 550 employés et plus de 300 travailleurs saisonniers.»
En période de campagne de production, les effectifs atteignent 4.000 travailleurs pendant six mois. La Sosumo est en train de viabiliser 1.500 parcelles pour ses employés.
Le rêvé du régime Bagaza d’avoir un deuxième pôle de développement se réalise. Mais cette entreprise a failli toucher le fond, d’autres n’ont pas eu cette chance. La crise, la mauvaise gouvernance, le désengagement de l’Etat et la privatisation en cascade ont sonné le glas des espoirs suscités par la politique d’industrialisation.
Raphaël Horumpende, ancien syndicaliste du Cotebu, témoigne : « Cette entreprise était régulièrement pompé, sous prétexte qu’il s’agissait des impôts. C’est ainsi qu’en 1989, l’Etat a pris une somme de 750 millions de Fbu de la trésorerie de cette entreprise.»
Burundi Brewery, la renaissance ?
Après la faillite en chaîne des entreprises industrielles initiées par l’Etat et son désengagement dans ce secteur, des initiatives privées commencent à voir le jour. C’est le cas de l’usine Burundi Brewery implantée à Ngozi.
L’Ir. Gervais Katiyunguruza, directeur technique de cette entreprise, indique que l’idée de mise en place de cette usine émane des membres de l’association ’’Dutezimbere Igitoke’’. « Ils ont de grandes plantations de bananiers et d’ananas mais éprouvent au départ de sérieuses difficultés de marché d’écoulement. Il fallait des fonds et des machines de transformation de leurs produits.» Après avoir obtenu des moyens, ce projet de fabrication de bière, à base de banane, ne contenant pas de sucre, verra le jour.
L’historien Alexandre Hatungimana est convaincu que le retard économique du pays est lié à la faiblesse de son secteur industriel. Le souci de la deuxième République était de développer le pays par l’implantation des industries.
Selon lui, les rapports de cette époque sont sans équivoques : le développement n’est pas possible au 20ème siècle sans une base industrielle. Ce qui est valable même aujourd’hui. L’exemple des pays émergents est éloquent. « Aucun Burundais ne peut être développé par l’agriculture de subsistance », conclut ce professeur d’université.
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