Elles ont réuni et réunissent toujours les foules. Les diverses danses et différents types de chansons burundaises à leur état traditionnel impressionnent et suscitent des passions. C’est au nom de ce patrimoine culturel, – si peu exploité économiquement – qu’elles franchissent les barrières internationales.
Gishora, dans la province de Gitega, au sanctuaire des tambours. « Le tambour, c’est ma vie. Ma vie, c’est le tambour », explique Antime Baranshakaje, 79 ans, président du club des tambourinaires de Gishora. Il n’a pas encore ses 10 ans, quand il commence à battre le tambour.
Derrière lui, une jeunesse aussi enthousiaste, fière de sa culture. C’est son club. Tambours posés sur leurs têtes, ils avancent gaillardement, à la main, ils tiennent des baguettes appelés communément Umurisho qu’ils lancent en l’air puis récupèrent pour battre encore plus fort leurs tambours.
Alors qu’au départ, seule une équipe de quatre journalistes de Si Ma Mémoire Est Bonne assiste à ce spectacle, en moins d’une dizaine de minutes, le sanctuaire est plein de monde. « Parce que tout simplement, quand le tambour résonne, c’est signe de paix et de joie », explique M. Baranshakaje, du clan des Batimbo, le seul destiné à battre le tambour dans le Burundi traditionnel.
Il n’hésite pas à imiter le roulement du tambour pour expliquer différents rythmes, ’’imihindo’’ : « Du, du, du, du, …Cha, cha, cha, …. Hemwe mwa bahebera mwe! Eeeeh ! Shaza! » C’est sur ce rythme umuhindo, ajoute-t-il, que des femmes pouvaient danser. Quant au rythme dit ’’Birenzi vya Ntare’’, « duru dudududu, duru dudududu… », Antime Baranshakaje fait savoir qu’il était destiné à annoncer les activités du roi.
Ce caractère sacré du tambour
« Le tambour n’est pas destiné à une personne mais au pays. C’est le symbole du pouvoir royal », révèle M. Baranshakaje. Et Jacques Mapfarakora, conservateur du musée de Gitega d’élucider son origine. D’après une certaine légende, M. Mapfarakora indique que le tout premier tambour date du roi Ntare Rushatsi Cambarantama au 16 ème siècle. Le roi Rushatsi serait venu de l’Est. Arrivée à la forêt de Teza, lui et ses compagnons auraient senti la fatigue et se seraient reposés.
Pour satisfaire leur faim, le conservateur du musée raconte que le roi leur offre une vache : « Ils l’ont abattue et sa peau a été étalée sur un arbre. » Ainsi, poursuit Jacques Mapfarakora, ses compagnons du roi Rushatsi se sont amusés à battre sur cette peau, elle a retenti et la population des alentours est venue voir ce qui s’y passait. Et le roi fut présenté à son peuple publiquement.
Quoiqu’elle fasse la joie des Burundais, M. Mapfarakora et Baranshakaje s’accordent sur le fait que le tambour sera battu par la suite à l’occasion de la fête des semences ou Umuganuro où les Burundais de tous les horizons se réunissaient à la cour royale. Ou encore, insiste Antime Baranshakaje, quand le roi se déplaçait à travers le pays pour prononcer le discours à la Nation.
Le tambour dans toutes ses diversités et ses tabous
Si la mémoire de Jacques Mapfarakora est bonne, il distingue trois grandes catégories de tambour : Karyenda ou l’idole du roi : un tambour très petit, qui n’était pas battu et sous la responsabilité d’une femme Mukakaryenda ; Rukinzo, qui selon lui, était grand, fabriqué à base de l’arbre Umurama et couvert de peau de zèbre. L’Ingabire, révèle M. Mapfarakora, inaugurait la chasse du roi. Néanmoins, nous retiendrons qu’à part ces trois, il y avait d’autres tambours appelés fétiches à l’instar de Ruteteme et Murimirwa qui existent toujours au sanctuaire de Higiro à Gishora. Il y a aussi les Mudende, Inajurwe, Kanyabiharage et Nyabuhoro. On retrouve ce dernier tambour à l’ancienne cour royale de Bukeye.
Sans toutefois donner un cachet ethnique au tambour, Antime Baranshakaje fait savoir qu’il était battu par les Batimbo du clan des Banyagisaka, de l’ethnie hutu. Cependant, il est strictement interdit à la femme de toucher au tambour parce qu’expliquent M. Mapfarakora et M. Baranshakaje, les différentes parties du tambour ont été conçues à la morphologique féminine : les seins, le ventre, etc.
Les deux protagonistes regrettent cependant que le tambour soit utilisé pour des fins qui dénaturent son caractère sacré. « Je sais que certaines personnes ne partagent pas mon avis. C’est étonnant de voir dans les mariages, à l’occasion des baptêmes, battre le tambour », s’insurge le conservateur. Même quand le roi se mariait, soutient Antime Baranshakaje, le tambour ne sortait pas : « Il faisait recours aux joueurs. »
Et le tambour franchit les barrières internationales
A l’arrivée des Blancs, souligne le conservateur du musée de Gitega, ils ont interdit le tambour. Ils finiront par comprendre que c’est le seul moyen de réunir le roi et le peuple. Quand le roi Baudouin visita le Burundi en 1955, rassure-t-il, il en raffole de joie. Et c’est parti, les premiers tambourinaires sont invités dans une tournée en Europe. Ils se rendront par après en Asie et pourquoi pas au pays de l’oncle Sam ?
Et ces guerriers du roi
« Quand le cor sonnait, Nyawishongora, le héraut, déclamait son poème vantant les exploits et que le tambour battait, le roi était sûr de ses hommes sur le champ de bataille », Mathias Ntirugirimbabazi, chef des danseurs Intore. D’après Jacques Mapfarakora, ces derniers étaient les combattants du roi : « Ils exprimaient leur joie pour montrer à leur chef qu’ils avaient vaincu l’ennemi. » Tout leur accoutrement, précise-t-il, symbolise les différentes armes de la guerre : « La couronne tient place des herbes portées par les combattants pour se camoufler. Sur le cou, un collier pour se protéger. Sur les pieds, des grelots pour effrayer l’ennemi et sur la poitrine, des flèches pour symboliser la bravoure et le dynamisme. »
Il n’y a qu’Intore dans le patrimoine de la danse burundaise. Christine Ndayizeye, l’un des membres fondateurs du Club Intatana étale cette diversité et les significations possibles : « Par exemple, la danse Urwedengwe pratiquée par les filles dans la région naturelle du Buyenzi était signe de maturité. » D’après Mme Ndayizeye, elle visait pour une fille, à mettre en exergue sa poitrine pour que des garçons la demandent en mariage.
A Bujumbura, c’est vers les années 2000 que l’on assiste à la naissance des clubs pour porter l’identité culturelle à travers la danse burundaise. L’engouement se fait sentir et des jeunes talents se manifestent de plus en plus. On se rappellera ici les spectacles organisés par les clubs Higa, Umudeyo, Gira amahoro, Abagumyabanga, etc et récemment le club Intatana. Ils mobiliseront des foules de gens. L’objectif de leur création, est d’amener la jeune génération à préserver l’identité culturelle, la porter et l’assumer où que l’on soit. Surtout que ces dernières années, beaucoup de Burundais se sont retrouvés à l’étranger suite aux conflits politiques.